
Cher Bernard-Henri Lévy,
Dans Ce virus qui rend fou, vous affirmez d’emblée :
« J’ai été sidéré, moi aussi.
Mais ce qui m’a le plus sidéré, ce n’est pas la pandémie. »
A quoi je réponds non moins d’emblée :
« J’ai été sidéré, moi aussi.
Mais ce qui m’a le plus sidéré, ce n’est pas la pandémie.
C’est votre livre. »
Sidéré de vous voir faire ici alliance objective avec les théoriciens du complot, vous d’habitude si prompt à les dénoncer, vous qui en êtes d’ailleurs plus souvent qu’à votre tour la victime — je fais référence à ce passage où parmi les bénéficiaires de la crise, vous mentionnez les « maîtres du monde voyant ce grand confinement (…) comme la répétition générale d’un type nouveau d’arraisonnement et d’assignation des corps. »
Sidéré que cette diatribe anti-confinement vous trouve sur la même ligne qu’Eric Zemmour, ce que rien, mais vraiment rien, ne laissait prévoir lors de vos précédents passages sur notre plateau. Deux enfants d’Algérie enfin tombés d’accord sur leurs vieux jours, un pays sur le tard unifié d’Oran à Béni Saf, c’est beau, c’est beau, mais c’est plus encore troublant.
Sidéré que votre humanisme d’habitude si réactif cède place à l’évocation presque nostalgique d’époques où on ne faisait pas tant d’histoire pour quelques millions de morts — étrange de vous imaginer tirant sur votre pipe au coin du feu en énonçant doctement : « des virus (comme des bactéries !), il y en a depuis la nuit des temps ». (40) Oui, étrange que les droits de l’homme s’effacent ici devant les droits de M. Prudhomme.
Sidéré bien plus encore que toute réflexion sur les désordres du monde tels que révélés par la pandémie soit pour vous associée aux désormais trop fameuses pages sombres de notre Histoire, que vous y flairiez des relents de pétainisme, « il y avait, écrivez-vous, l’écho des sermons qui, en 1940, disaient à la France qu’elle avait trop joui, trop profité » (38). Vous avez certes l’aussi ancienne que fâcheuse habitude d’arroser l’encre de vos livres d’un peu d’eau de Vichy, mais la boisson obtenue est cette fois imbuvable.
Et vous passez définitivement la barre de l’indécence en rappelant que le confinement fut autrefois la peine infligée aux antifascistes italiens, Gramsci, Primo Levi et autres ou en assénant que le confiné pas mécontent de l’être est un parfait salaud dans la lignée du M. Simonnot que Sartre met en scène dans Les Mots. A lire ce que je viens d’évoquer, on se demande si ce n’est pas vous surtout que le virus a rendu fou.
Vous vantez le grand large et « l’autrui d’abord ». Fort bien. Mais souffrez que tout le monde ne carbure pas autant que vous à la poudre d’escampette, mais souffrez encore que tout le monde n’ait pas autant besoin que vous du regard des autres pour se sentir exister, mais souffrez enfin que ça ne fasse de personne un fasciste ou un salaud.
Cette épidémie qui n’en finit pas de n’en pas finir aura toutefois eu pour mérite de vous ouvrir aux réalités sociales, vous qui aviez accompli l’exploit de n’en pas dire un seul mot dans votre livre consacré à la gauche sous le titre Ce grand cadavre à la renverse. Il est pour la première fois question sous votre plume de « barres d’immeubles à Sarcelles », vous vous avisez pour la première fois que les damnés de la Terre ne sont pas forcément les damnés de l’autre bout de la Terre.
Et plutôt que d’ironiser sur votre propre ironie à l’endroit de la communauté médicale, ceux qui savent et qui en réalité ne savent pas selon vous, ce qui serait plutôt la définition des intellectuels médiatiques, je souhaiterais conclure en vous posant deux questions :
Vous êtes-vous demandé « d’où vous parlez » comme on disait autrefois ? Se pourrait-il que le rapport à l’épidémie ou au confinement varie selon qu’on se déplace en voiture avec chauffeur ou en métro ?
Par ailleurs, votre livre étant paru en juin dernier, l’évolution de l’épidémie, la montée d’une deuxième vague vous invitent-elles à corriger votre livre sur certains points ?

“La philosophie devenue folle” écrivait il y a quelques années Jean-François Braunstein. Il ne semble pas s’être trompé…
Et il semblerait que cette folie ne cesse de gagner du terrain comme un feu de forêt attisé par l’air du temps… que viennent les Canadairs !
Bravo, une fois de plus pour cette critique épatante ! Je ne sais pas ce que sont vos occupations professionnelles, mais vous devriez peut-être songer à en faire votre métier ?! J’ai découvert votre Blog il y a peu (avant-hier) et je me régale à vous lire. Merci à vous.
Je vais réfléchir très sérieusement à votre suggestion… Heureux que vous trouviez votre content dans ce blog que j’ai grand plaisir à tenir avec mon ami Jean Couturier. Amitiés littéraires.
J’ai honte… ! Je viens de découvrir ma bévue vous concernant. À ma décharge ; des années loin de notre beau pays, expatrié sur une île (presque) déserte… ! Je vous prie de bien vouloir accepter toutes mes excuses. Cela n’enlève rien à ce que j’ai écrit ; j’ai plaisir à lire vos articles. Je reconnais de surcroît une bonne dose d’humour chez vous… et cela me plaît encore plus ! Très cordialement.
Je vous en prie, à mieux y regarder, c’était un beau compliment ! Que je reçois comme tel… au plaisir d’échanger avec vous sur ce blog. Mon amical salut sur vous.