
Afin de pallier les désillusions des amateurs de l’écrivain, Christophe Honoré précise son point de vue dans une lettre à ses acteurs : « Bien sûr qu’il est ridicule de prétendre adapter Proust, au théâtre, comme au cinéma. C’est une entreprise pourrie d’avance tant ce mot « adaptation » traîne avec lui des sens contraires et vagues, des ambitions paresseuses et ternes ».
Bien que toutes les représentations affichent complet, il faut tenter de venir voir la Comédie-Française exilée momentanément au théâtre Marigny. D’abord, pour le jeu de ses acteurs tous formidables sans exception. À commencer par Clément Hervieu-Léger qui reprend au pied levé et texte en main, le rôle de la marquise de villeparisis, joué initialement par Dominique Blanc, désignée sujet contact avec la covid. Paradoxe du théâtre qui nous fait voyager dans le temps, rattrapé ici par la réalité d’aujourd’hui.
Ensuite pour Stéphane Varupenne interprétant le rôle de Marcel Proust avec toute la naïveté d’un enfant choyé de la fin du XIXe siècle et découvrant les hypocrisies de la haute aristocratie de son époque. Il croit être amoureux de la fameuse Duchesse Oriane de Guermantes, jouée par Elsa Lepoivre qui ne freine pas par son jeu, composée d’une hystérique inconscience et d’un déni de classe évident, en particulier vis-à-vis de l’affaire Dreyfus, si clivante dans cette société en voie d’extinction.
Nous retiendrons les interprétations mémorables dans le ridicule jouissif du Duc Bassin de Guermantes et du Baron de Charlus joués respectivement par Laurent Lafitte et Serge Bagdassarian, tout comme les figures caricaturales et justes des marquis de Norpois (Gilles David) et de Legrandin (Eric Génovèse).
Christophe Honoré dirige ses comédiens avec un réel plaisir et cela se voit. Il se laisse même aller à un petit clin d’œil en emportant ses artistes dans une farandole rappelant les chorégraphies de Pina Bausch.
La scénographie d’Alban Ho Van et Ariane Bromberger, nous plonge dans un vestibule en marbre d’un hôtel particulier parisien qui s’ouvre au lointain sur les jardins des Champs-Elysées. Un bel effet scénique permettant les entrées et sorties des personnages. Là encore, le réel et la fiction théâtrale se rencontrent.
Les références au 7e art sont moins convaincantes. L’utilisation des perches prise de son demeure trop fréquentes et le film mettant en scène Claude Mathieu dans l’agonie de la grand-mère de Marcel, apparaît peut-être un peu trop caricaturale.
Adapter un texte non dramatique au théâtre est toujours une trahison, reste que cette pièce mérite d’être vue dans une période très difficile pour le spectacle vivant.