« Le grand inquisiteur » d’après Fédor Dostoïevski, mise en scène Sylvain Creuzevault.

Sylvain Creuzevault travaillait sur les Frères Karamazov quand un chapitre particulier du roman de Dostoïveski, l’interpelle. 

À son frère Aliocha, Ivan raconte une fable qui questionne sur la culpabilité de Jésus. Tous deux se trouvent devant le rideau de fer du théâtre où l’on peut lire ces deux phrases : « Dieu éternel, ainsi soit-il ; Eternelle rébellion, quoi qu’il en soit ».

Le récit fait redescendre le Christ sur Terre au moment de l’inquisition espagnole. Jésus fait ce pourquoi il est doué : des miracles ! L’anarchie créée dans la ville de Séville soulève la fureur du grand inquisiteur, le Christ est enfermé et condamné. 

Le grand inquisiteur dit : « Rien, jamais, ni pour la société humaine, ni pour l’homme n’a été plus insupportable que la liberté […] Ils ne pourront jamais être libre parce qu’ils sont faibles, insignifiant pervers et rebelles ». La messe est ainsi dite, si l’on peut dire… 

La suite du spectacle bascule dans une farce gore qui nous fait découvrir Trump, Tatcher, Staline s’appuyant d’une façon ou d’une autre, sur les naïves croyances de l’humain pour exercer leurs pouvoirs. Tous apparaissent donc selon le metteur en scène comme de grands inquisiteurs.

Puis, la pièce bascule dans une forme presque didactique par l’intermédiaire de Nicolas Bouchaud interprétant le dramaturge et auteur de théâtre Est-Allemand, Heiner Müller. Après Dostoïevski, nous écoutons un autre visionnaire. On n’a jamais aussi bien entendu et lu (le texte est projeté au lointain), la pensée de cet auteur avec des extraits de Fautes d’Impression (Paris, L’Arche – 1991). « Dostoïevski a posé la question : que se passe-t-il quand on tue un scarabée ou une mouche ? Quelque chose commence là qui peut être perpétué à l’infini. L’impulsion se libère parce qu’un scarabée est quelque chose d’étranger. Un scarabée a un rythme de mouvement pour nous inhabituel. Tout ce qui est inhabituel irrite, dérange ; de là naît en Europe l’impulsion à l’uniformisation. Les mouches dérangent seulement. C’est pourquoi on les tue. La propagande nazie consistait à mettre les gens dans une situation telle qu’exterminer des juifs ou tuer des Russes était la même chose que de tuer des cochons. […] Son expérience de la mort fit de Dostoïevski un joueur. Aujourd’hui chacun est un joueur, car les machines jouent avec nous. À chaque voyage en voiture, à chaque vol, on risque sa vie. C’est une expérience fondamentale qu’on ne fait pas vraiment, qu’on refoule ». 

Aux propos d’Heiner Müller, s’ajoute la présence logique de Marx. Au milieu de cette réunion de fins esprits et de dictateurs qui ressemble à une fête d’étudiants qui n’en finit pas, les comédiens sont tous remarquables de folie, le metteur en scène se repose sur une belle bande d’artistes.    

Le tout est assez déconcertant. Sylvain Creuzevault brouille les pistes et semble s’en amuser. Les références sont multiples, il faut les décoder et se faire sa propre vision en fonction de sa sensibilité. Cela demande une démarche active de la part des spectateurs, quitte à ce que certains d’entre eux restent sur le bord de la route…

Jean Couturier

durée 1h30

avec
Nicolas Bouchaud
Sylvain Creuzevault
Servane Ducorps
Vladislav Galard
Arthur Igual
Sava Lolov
Frédéric Noaille
Blanche Ripoche
Sylvain Sounier

PHOTO simon gosselin

https://www.theatre-odeon.eu/fr/saison-2020-2021/spectacles-20-21/le-grand-inquisiteur-2020