François Bégaudeau ou le retour du roman stalinien

Un enlèvement
François Bégaudeau
Verticales _ Gallimard
192 p. 18 €

Les deux font la paire. Le nouveau livre de François Bégaudeau pourrait se placer sur la même étagère que Fille de Camille Laurens afin d’illustrer un nouveau genre : le roman ressentimental. Ressentiment de sexe, on l’a vu, pour la seconde, ressentiment de classe, on va le voir, pour le premier. Un enlèvement met en scène monsieur et madame  Legendre en vacances à Royan avec leurs enfants ou plutôt un couple qui illustre jusqu’à la plus grossière caricature le mode de vie et les valeurs du bobo parisien, obsédé par la nourriture bio, la pratique du sport et l’écologie. Pensez que ces monstres vont jusqu’à enseigner à leur progéniture de ne pas souiller la plage de ses détritus ! De quoi attirer sur eux les foudres du commissaire du peuple littéraire qu’est devenu sur le tard François Bégaudeau avec d’autant plus de zèle qu’il s’agit, comme autrefois les intellectuels sous un régime stalinien, de faire oublier ses propres origines bourgeoises — on ne sache pas que l’auteur ait déjà pointé à l’usine ou soit jamais descendu à la mine. D’où une accumulation de tableaux destinés à tourner en ridicule les personnages principaux que l’on ne saurait trop accabler —  c’est ainsi qu’en plus des travers de leur mode de vie, des accointances tarifées leur seront prêtées avec des fraudeurs fiscaux et autres détourneurs de fonds. Mais le projet trahit sa véritable nature lorsqu’il est question du rapt qui donne son titre au roman. Le père de l’enfant disparu se trouve être un géant du BTP local, lequel entretient donc nécessairement des relations douteuses avec « des dignitaires africains eux-mêmes liés à des oligarques russes ». Mieux encore, rien « n’empêchait d’envisager que Derugie ait organisé le kidnapping, avec la possible complicité de son fils ». Chez ces gens-là, n’est-ce pas ? Il s’agit de placer sa plume dans le sens du vent mauvais qui décoiffe les foules contemporaines et de désigner à la vindicte populiste tout représentant des élites. Ce qui précède garderait un goût d’inachevé si le dernier chapitre ne se confondait avec un sommet de démagogie où plus d’un restera surpris d’apprendre que les expéditeurs de sms phonétiques dissimulent en réalité des stylistes de première force et qu’en chaque cancre sommeille un génie victime du système. Ainsi s’étendent les ravages d’une littérature édifiante et militante.

http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Verticales/Verticales/Un-enlevement

8 Comments

    • Merci pour votre fidélité à mes chroniques. J’ai pris des bonnes résolutions pour l’année à venir, j’en livrerai plus régulièrement. Passez d’excellentes fêtes de fin d’année.

    • Bonjour, je me suis bien marré à lire l’enlevement de Begaudeau. Il croque bien la nouvelle bourgeoisie, son auto-érotisation, sa quête de performance, ses distances, ses prénotions, et par ricochet, le racisme social qu’il l’anime. En creux, on y décèle une bourgeoisie gestionnaire et marchande, finalement peu cultivée, qui ne perçoit pas les retours du refoulé sociaux en cours. Sur le fond, vous manquez cela et ne retenez qu’un procès (stalinien…). Rejeter systématiquement toute idée, proposition, texte provenant de la gauche critique comme vous le faites avec zèle équivaut largement au procès en sectarisme d’une partie de la gauche que vous faites (dont je suis en partie en accord avec vous).
      Cdmt

  1. F. Begaudeau aurait dû rester chroniqueur foot. Je crois qu’il n’était pas trop mauvais dans ce domaine. Je n’y connais rien en foot mais quand la plume est bonne on peut lire une chronique rien que pour le plaisir du style. Je n’ai lu que « Dans les murs » de FB et je l’avais trouvé assez méprisant envers ses élèves…
    A propos de style le votre est fort beau Monsieur Naulleau dans Ruse : au risque parfois de privilégier le style à l’intrigue….mais votre livre est un grand plaisir de lecture.
    Je vous souhaite de joyeuses fêtes.

    • Merci pour l’appréciation de Ruse, cela fait très plaisir à lire. A bientôt pour de nouvelles chroniques et, qui sait ?, un nouveau roman. Joyeux Noël et très bonnes fêtes à vous et vos proches.

  2. Il me semble que l’échec du roman militant de Sartre / Camus dans les années 40-50 se cristallise avec beaucoup plus de médiocrité dans un 21 ème siècle qui semble avoir oublié ce que c’est que bien écrire. Et cependant qu’il y’a comme une légèreté nauséeuse à tous ces récits auto entrés et minimalistes à souhait, on pourrait néanmoins trouver certaines vertus à l’acte d’écrire pour les autres, et pour faire valoir quelque chose en dehors de soi. Bégaudeau n’est certes pas un Mail Morand, mais ne pourrait-on pas lui attribuer le mérite justement (et ce bien évidemment conformément à son idéologie teintée d’un Poujadisme chic) de sortir de lui-même pour peindre selon son idéologie qui certes semble mortifère, un monde et des faits, par lesquels il croit dire une société, une dégradation, un quelque chose qui cloche enfin.
    Dans cette marée de livres où on nous raconte jusqu’aux premières règles d’une collégienne qui ne sait plus de quel sexe elle est, où tout un chacun déverse à nos yeux atterrés de misanthropes compulsifs, au milieu de tout cela, ne brille il pas de quelque chose ? D’une lumière assez novatrice.
    Je précise que j’ai arrêté mon horizon de lectures / découvertes aux années 70, donc Bégaudeau est sans doute médiocre et/ou stylophobe.

    Bref, juste une petite nuance qui m’a semblé manquer dans ce texte, qui par ailleurs est très bien écrit.

    Bien à vous.

  3. Bonjour Eric,

    Je forme mes premiers mots et m’interroge… Est-ce utile ? Ma démarche, j’entends. Est-il envisageable, au moyen de quelques pauvres lignes, de vous (r)amener à la littérature ?
    Essayons, intelligemment. Mais cela va demander quelques efforts.
    Essayons d’évacuer de nos esprits embrumés le fantasme d’imaginer François Bégaudeau dans les rangs de l’Armée rouge une mitrailleuse à la main pour se figurer un type derrière un ordinateur utilisant son clavier pour aligner des mots, platement. Essayons de contourner la pente descendante qui nous entraîne non inéluctablement vers le registre du sensationnel et du percutant – « vindicte populiste », « monstres », « foudres », « commissaire du peuple », « ravages », – certes à la mode, pour lui opposer un vocabulaire mesuré, calme, adapté à l’objet critiqué. Comble de l’audace, partons puceau et vierge en nous débarrassant de tout « ressentiment » à l’égard dudit auteur pour analyser et critiquer rigoureusement l’ouvrage, uniquement l’ouvrage. Parlons littérature, en somme.
    Pour relever le défi il nous faut nous entendre sur deux postulats.
    Le premier affirmant que la littérature est inoffensive. Oui, même quand elle est détournée de sa noble mission, qui est de montrer le réel, elle ne fait aucun mal. On lui en fait, quand le propos vise à distiller la fausseté, la dissimulation ou l’imposture. Mais elle, que peut-elle ?
    Le deuxième postulat consiste à admettre que la littérature doit naviguer vent contraire à toute idéologie. Autant dans la création que dans la critique. Cette idéologie qui anéantit l’action politique et la réflexion littéraire. Qui plane et virevolte au-dessus de toute pensée consistante, qui ne brasse que du vide, du creux. Tout l’inverse de ce qu’est – doit être – la littérature. Parce qu’elle s’incruste dans le réel, dans la vie.
    Lavés de tout ça, prenons donc l’objet littéraire qu’est Un enlèvement. Qu’y trouve-t-on ?
    « monsieur et madame Legendre en vacances à Royan avec leurs enfants » (une phrase juste mérite d’être citée, d’autant plus quand elle se trouve dans une solitude désolante). Jusque-là, rien de bien subversif. Vous notez cependant une « caricature » du « bobo parisien ». Donc des traits exagérés caractérisant une appartenance à la classe bourgeoise parisienne. Ma rigueur m’incite à vous interroger : quels traits exagérés ?
    Je note, à ma lecture, une vie réglée par la discipline, pour la performance – running, yoga, alimentation équilibrée -, des goûts culturels : Dix pour cent, Gwyneth Paltrow, un souci de réussite scolaire des enfants. Si certaines de ces caractéristiques révèlent une appartenance à la classe bourgeoise, parce que résultant d’un fait sociologique et réclamant les revenus appropriés, leurs préoccupations n’en demeurent pas moins celles de toute famille. Quels parents ne préféreraient pas faire manger du bio à ses enfants ?
    Des éléments semblent vous gêner : les « fraudeurs fiscaux et autres détourneurs de fonds » et les « relations avec des dignitaires africains », à titre d’exemple. Quand bien même cela puisse vous perturber, n’existent-ils ? Est-ce pure création ?
    Par ailleurs, leur appartenance à la classe bourgeoise est un fait sociologique démontré par des situations, mais elle n’apparaît être un crime que sous votre plume. Où le « commissaire du peuple » ? Où les « monstres » ? Où le « ridicule » ?
    Regardons de plus près le narrateur, Emmanuel, et sa femme. Observons la construction polyphonique du roman pour déceler, bien au contraire, une distanciation ironique de l’auteur avec ce personnage. Distanciation qui prend les formes de failles qui précisément renversent l’ordre des choses, l’ordre préfabriqué de leur monde policé, et les rendent d’autant plus humains, et même attachants. Des failles qui distillent du désordre, du désir, des brèches. Autant d’éléments justifiant d’un brouillage propre à la littérature. Autant d’éléments qui corroborent votre erreur, Eric. L’auteur ne fige rien, n’affirme rien. Il montre. Il montre et son écriture incite à l’émancipation, non à la « démagogie », encore un mot creux qui ne peut renfermer les gestes concrets de Louis. Celui de s’intéresser à une éclipse ou à un tas de gravats au musée, celui de creuser dans le sable et, le plus noble d’entre tous, celui de lire, mais surtout de lire ce qu’il veut. Quelle belle liberté nous incite-t-on là à saisir…

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