
Cher Richard Malka,
Quand un avocat de renom publie une deuxième fiction, il confirme son statut de romancier, mais il n’en demeure pas moins un avocat de renom. Quand un critique lit la deuxième fiction d’un avocat de renom, il sait avoir affaire à un romancier, mais il n’en continue pas moins à chercher entre les lignes l’avocat de renom. Qu’on s’en désole ou qu’on s’en félicite, se faire avocat-romancier revient à endosser un destin de frères siamois.
Le héros se nomme ici Adrian von Gott, né à Venise en 1769, de parents qui ne l’aimaient pas : « Ce n’était pas de leur faute, explique-t-il et donc expliquez-vous, mais de celle de la scarlatine qui prit leurs deux premiers-nés peu après que je fus conçu. »
Un portrait de vous récemment publié dans Le Monde mentionne tout au contraire dans votre cas une famille aimante, fausse piste autobiographique. Mais il en faut davantage pour décourager le critique lancé sur la piste de l’homme et de l’avocat derrière l’écrivain.
Il se trouve par ailleurs qu’Adrian von Gott est comblé ou peut-être accablé du don de l’immortalité, et c’est ainsi que nous le suivons de siècle en siècle, de pays en pays, d’évènement historique en événement historique, de la cour du sultan Abdülhamid 1er à la Révolution française, de la traite des Noirs aux atrocités nazies, d’Europe en Amérique, d’Amérique en Afrique.
Disposer d’un stock de temps illimité, ne serait-ce pas le fantasme d’un avocat toujours à la bourre pour ficeler ses dossiers ? On se rapproche, se dit le critique, la piste se réchauffe.
Le destin d’Adrian von Gott, apprend-on aussi, fut scellé avant même sa naissance, durant la seule nuit d’amour de ses parents : « Quelques atomes s’en trouvèrent perturbés. Je n’aurais pas été le même si d’autres mots avaient été prononcés. Les serments blasphématoires de mes parents à l’instant précis où ils me concevaient ont défini ma nature et entraîné ma mutation. Pas une autre. Celle qui fait de moi un homo incognito. Une créature dotée d’un pouvoir maléfique. »
Le pouvoir maléfique en question est celui d’une manière de vampire qui se nourrit des sentiments et des souvenirs de ses victimes, absorbe leur passé et s’en régénère. Un homme qui s’imprègne de la vie d’autrui, la reprend à son compte et en compose un récit, n’est-ce pas une excellente définition du métier de plaideur ? Je brûle, se dit le critique.
Mais le critique se dit aussi qu’il manque encore un élément décisif pour que l’avocat apparaisse entre les lignes de ce conte noir, de ce récit qui brasse et pétrit quantités de références littéraires, du romantisme au fantastique, de Dr Jekyll et Mister Hyde à Frankenstein, du juif errant au Hollandais volant.
Et c’est seulement la dernière page tournée que notre critique s’exclame : « Bon Dieu, mais c’est bien sûr ! », citant ainsi le commissaire Bourrel dans Les 5 dernières minutes, ce qui renseigne au passage sur l’âge du critique.
Car le thème principal du Voleur d’amour est évidemment celui de la justice. Et plus précisément de la justice expéditive, celle que pratique Adrian von Gott, lui qui tout au long du roman, sans autre forme de procès, c’est le cas de le dire, fait passer de vie à trépas de manière particulièrement violente tous les salauds qu’il trouve sur son chemin. Se pourrait-il qu’il exprime des pulsions refoulées de l’avocat de renom ?
Car le thème principal du Voleur d’amour est bien entendu celui du Mal, une question rarement débattue en tant que telle dans les prétoires où l’on discute plus volontiers de droit que de philosophie. Se pourrait-il qu’Adrian von Gott symbolise chez l’avocat de renom la revanche de la métaphysique sur la technique ?
Maître Malka, sur les deux points cités, ou sur d’autres, Adrian von Gott se tient-il parfois à vos côtés et vous parle-t-il parfois à l’oreille lorsque vous prononcez vos plaidoiries ?
Le Voleur d’amour, Richard Malka. Grasset
Bonjour, j’ai remarqué une coquille dans le texte de présentation de votre ouvrage “Ruse” : Le soleil cognait toujours plus fort à la vire.
Je pense qu’il s’agit plutôt de vitre ?