
Hervé Gardette en transit
Le passage à l’oral se révèle parfois fatal aux écrivains. Ternies par le souffle devenu court du lecteur, ébréchées à force que celui-ci bute sur des mots mal agencés, les phrases tombent en morceaux avant relégation parmi d’autres abolis bibelots d’inanité sonore, pour emprunter à Mallarmé. Ce n’est pas pour rien que Flaubert soumettait à l’épreuve du « gueuloir », c’est-à-dire de la déclamation à voix très haute, la moindre des phrases tombées de sa plume. Mais qu’en est-il du passage de l’oral à l’écrit ? Tel est le pari d’Hervé Gardette dans Ma transition écologique qui rassemble quelques-unes des chroniques radiophoniques livrées chaque matin du lundi au vendredi vers 8h45 sur France Culture en conclusion de la matinale de Guillaume Erner.
« Comment garder la bonne distance avec son sujet lorsque celui-ci promet d’être envahissant au point d’affecter ma vie professionnelle et ma vie privée ? », se demande d’emblée l’auteur. Par l’humour essentiellement, dont témoigne le sous-titre du livre (Comment je me suis radicalisé) et jamais ne se départissent les quarante et quelques textes proposés. L’engagement sincère se double ici d’un dégagement par l’ironie et une forme de légèreté revendiquée, même pour évoquer les sujets sérieux entre tous, d’où la plus utile et la plus plaisante des lectures. Utile dans la mesure où sont abordés tous les thèmes (d’importance variable) liés à l’environnement, du zéro déchet (quête du Graal dans laquelle le journaliste enrôle toute sa famille) jusqu’à l’obsolescence programmée en passant par les avantages du sac à pain et des achats en vrac. Utile encore parce que ces réflexions naissent souvent de la fréquentation d’autres livres et finissent par composer une bibliothèque virtuelle où tout écolo ou même non écolo est invité à piocher pour prolonger et approfondir la chronique du jour — ni l’un, ni l’autre ne regretteront par exemple d’avoir suivi le conseil implicite d’Hervé Gardette de se procurer Quand la nature se rebelle de Philipp Blom où le philosophe allemand examine la relation de cause à effet entre le Petit Âge glaciaire du XIVème au XVIIème siècle et « l’émergence du capitalisme et des lumières ». Plaisante aussi comme lorsque la radicalisation évoquée par le sous-titre du recueil donne ce morceau de bravoure :
« Faire ses courses au supermarché est devenu un calvaire. Un voyage au pays des infidèles. Comme aurait dit le président Mac Mahon « que de plastique, que de plastique ». Tout y est sous blister. Même le papier d’emballage est emballé. La littérature n’est plus un refuge. Pour peu qu’on y croise un petit coin de nature, le moindre roman devient visionnaire. Germinal n’est plus un roman sur la condition ouvrière, mais une prophétie sur la fin du charbon. J’ai expulsé Le rouge et le noir de ma bibliothèque : ça manquait de vert. »
Hervé Gardette : reçu à l’oral et à l’écrit !
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