Entretien avec Caroline Guiela Nguyen à propos de Fraternité crée au festival d’Avignon

©JeanLouisFernandez 

C’est votre deuxième festival d’Avignon donc belle opportunité pour votre compagnie ? 

C’est une chance d’y être, d’être en présence d’autres metteurs en scène que j’admire beaucoup, c’est un festival international où beaucoup d’étrangers viennent voir les pièces, c’est une chance. 

Comment vous positionnez-vous après ce long intermède dû aux restrictions sanitaires ?

Faire un spectacle en temps de Covid est très difficile. Nous avons eu de la chance de pouvoir travailler. Nous avions beaucoup de personnes sur le projet dont des sujets âgés. Dès qu’il y avait le moindre risque de cas contacts, on éloignait immédiatement celles-ci. Dans nos créations, nous réunissons des personnes d’horizons très différents socialement, géographiquement et spirituellement. Notre processus de travail est de créer des espaces de rencontre entre nous, passer du temps à se connaître. Le tout étant antinomique avec les protocoles sanitaires : séparer les repas, respecter la distanciation. Faire une création en ayant peur que des gens puissent attraper la Covid et qu’ils puissent en mourir est très angoissant. En revanche, vu ce que je vois du groupe aujourd’hui, les gens ont quand même réussi à être ensemble, personne n’a abandonné le lien alors que tout était fait pour le briser. Au final, cette aventure a réussi à exister. 

A propos de la pièce, vous parlez de « centres de Soin et de Consolation », à quoi cela correspond ?

C’est un lieu fictif. Il s’est énormément inspiré du réel. Chose très importante pour moi, les comédiens qui sont sur le plateau ne sont pas pris par rapport à leur biographie. Je ne travaille jamais avec les histoires personnelles de chacun, mais uniquement avec leur imaginaire, avec leur langue, avec leur corps, leur présence. En revanche, avec toute l’équipe, créateur costumes, créateur musical, créateur vidéo, scénographe, etc. , nous préparons nos fictions, nous passons beaucoup de temps en immersion dans des lieux spécifiques comme le bureau de rétablissement des liens familiaux qui est un organisme de la Croix Rouge internationale qui rétablit les liens entre les gens qui se sont perdus de vue après une guerre par exemple. Avec ma compagnie, je pose un postulat fictionnel de départ. J’avais envie que l’histoire se passe dans un futur lointain, qu’il y ait une grande éclipse, que des gens allaient disparaître… après, nous allons sur des lieux réels, nous ponctionnons ce qui nous paraît en adéquation avec notre idée de départ, et que nous pensons immédiatement comme de la fiction. Le premier jour, lorsque nous arrivons avec les comédiens, j’ai déjà écrit un roman du spectacle qui est une trame narrative dans laquelle les comédiens viennent et improvisent. Après, je réécris. 

Comme Alain Platel, vous êtes quelqu’un qui n’a pas peur de montrer l’émotion sur un plateau, est-ce toujours un de vos moteurs de mise en scène ?

C’est toujours et c’est le seul, je n’ai pas peur de cela. J’ai mis pas mal d’années à me libérer de toute critique par rapport à cela. Souvent, on oppose le travail sur l’émotion qui a un rapport avec l’intime et avec le récit et puis, il y a la question politique qui doit être froide et distanciée et je ne suis pas d’accord avec cela. Je travaille sur la croyance et l’émotion. Lorsque je fais pleurer sur le plateau ou si quelque chose m’émeut, cela est tout de même d’une haute exigence. Je ne fais pas pleurer dans les chaumières parce que je trouve cela sympa mais je choisis les sujets, les histoires et les corps qui vont être ceux à qui nous allons nous attacher profondément, c’est très important. La question de l’émotion est quelque chose que je revendique, même pour ma santé mentale en tant que metteure en scène, sinon je serais à coté de moi-même. 

J’ai conscience du coté vaste de cette question mais le premier public de ce spectacle sera celui d’Avignon, que souhaitez-vous qu’il retienne de Fraternité ? 

Difficile à dire, j’aimerais qu’il retienne l’histoire et les gens qui vont la porter, comme la notion de l’émotion dont nous avons parlé, mais pas seulement. Ce qui est génial dans ce que l’on est en train de faire, c’est que l’on a pris des comédiens pour la plupart amateurs et avec eux, nous allons raconter des histoires d’étoiles, de planètes et d’exoplanètes. J’ai envie que les gens sortent avec cela dans leurs têtes, à la fois des personnes qu’ils peuvent croiser dans la rue et à la fois des étoiles et la Nasa. La question de l’émotion, j’ai envie de la confier à chacun et qu’ils ressortent avec des étoiles, des récits et des visages.

https://festival-avignon.com/fr/audiovisuel/caroline-guiela-nguyen-presente-fraternite-conte-fantastique-62097

Caroline Guiela Nguyen, ©Manuel Braun

PRÉSENTATION

2021. Un cataclysme fait disparaître subitement une partie de l’humanité. Il ne reste aucune trace de celles et ceux devenus absents. Pour combler ce vide et maintenir active la mémoire, intime et collective, de cette disparition, s’invente un nouveau type de centre social : les « Centres de Soin et de Consolation ». Là, les humains soignent l’absence, luttent contre l’écoulement du temps et l’effacement des souvenirs. La formidable diversité des récits qui émerge alors métamorphose ces destins tragiques en un conte, dont les chants reconstruisent un avenir fait de résonances étoilées, presque mythologiques. Pour dessiner une communauté à la fois singulière et résiliente, Caroline Guiela Nguyen a cherché pendant plus deux ans des personnes capables de créer et d’incarner le second volet du cycle de créations qu’elle consacre à la notion de fraternité. Et aujourd’hui, ce sont des comédiens, professionnels ou amateurs, parlant des langues diverses et âgés de 16 à 79 ans, qui se présentent à nous pour révéler la force poétique et fantastique de nos réalités, tendre vers la part de futur contenue dans notre présent.

FRATERNITÉ, Conte fantastique est le second volet du cycle FRATERNITÉ qui compte à ce jour deux autres créations : Les Engloutis (2021), court-métrage coproduit par Les Films du Worso et Les Hommes Approximatifs ; L’Enfance, la Nuit, spectacle créé à la Schaubühne à Berlin en 2022.

FRATERNITÉ, Conte fantastique de Caroline Guiela Nguyen sera publié aux éditions Actes Sud en 2022.

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