La Cerisaie, mise en scène de Tiago Rodrigues

Cour d’honneur du Palais des Papes, du 5 au 17 juillet 2021.

En 1892, Anton Tchekhov écrivait :  « Je suis né à Taganrog en 1860. En 1884, j’ai terminé mes études à l’université de Moscou, faculté de médecine. En 1888, j’ai reçu le Prix Pouchkine… On a commencé à me publier en 1879. J’ai connu les mystères de l’amour à treize ans. Célibataire. Souhaiterais recevoir une rente. Je professe la médecine et il m’arrive même en été de faire des autopsies légales… Mais trêve de plaisanteries. Ecrivez ce que vous voulez. Si les faits vous manquent, remplacez-les par du lyrisme »

Tiago Rodrigues semble avoir pris au mot l’auteur russe en ce qui concerne sa mise en scène. Expression poétique des sentiments, le lyrisme est présent ici à travers le texte de l’auteur ainsi que la musique, jouée en direct sur scène. Cependant, il manque une vraie émotion dans cette « Cerisaie »… Au milieu des chaises, les acteurs font régulièrement face au public durant la représentation. Guitare et batterie rythment les temps forts de cette pièce, cela nous rappelle le mémorable « Hamlet » de Thomas Ostermeier en 2008, dans ce même lieu. 

Parmi quelques moments marquants, on distingue l’arrivée de tous les personnages sortis du train comme une vague de cour à jardin. Véritable métonymie de la pièce, une chanson « En avant, en avant, tout finit par changer, même ces chaises ont changé de place. Ce sont les vieilles chaises de la cour, elles sont la mémoire, elles sont le passé ». Ces mots ont une saveur particulière quand on prend conscience de la nomination récente de Tiago Rodrigues à la future direction du festival d’Avignon. Autre temps fort, la scène finale : les chaises accumulées en tas sont remisées et alignées à jardin par les comédiens, en particulier par Lopakhine affairé à s’approprier sa cerisaie, laissant le plateau nu. Le moujik l’avait prédit : « Cette cerisaie, on la vendra pour dettes, aussi bizarre que cela puisse paraître ». 

Parmi les acteurs, il faut justement distinguer les présences d’Adama Diop en Lopakhine, d’une cruelle lucidité sur le devenir de cette cerisaie et aussi tendrement attaché à celle-ci ; Marcel Bozonnet en Firs, majestueux vieillard que tout le monde oublie au final ; David Gegelson en Trofimov, éternel étudiant qui jette un regard amer sur cette société russe en déliquescence : « Pour commencer à vivre dans le présent, il faut d’abord racheter notre passé ». Enfin, il y a Isabelle Huppert qui ne convainc pas dans son rôle de Lioubov, une femme enfant, présente sur le plateau, tout en étant absente de cette communauté humaine. L’aspect monumental de cette cour rejoint la réalité de l’écriture de Tchekhov : « Maintenant encore, je me sens toute petite », dit Lioubov.

Sous une apparence moderne, Tiago Rodrigues crée dans cette cour, une œuvre très classique au sens de la définition de Giorgio Strehler qui disait à propos de sa version de La Cerisaie en 1976 : « Le classique est une œuvre qui dépasse son temps, qui échappe au cadre dans lequel elle est née ». La cour d’honneur, avec ses trente-trois mètres d’ouverture, a peut-être écrasée cette mise en scène à qui il manque un supplément d’âme. Ici, cette « Cerisaie » a peut-être échappé au metteur en scène. Il faudra sans doute revoir cette pièce dans un espace classique, plus favorable à un rapport intime des personnages.

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

PRÉSENTATION

Exilée à Paris depuis de nombreuses années, Lioubov, créature insaisissable et lunaire, revient dans son domaine qui doit être vendu pour dette. Pivot tragique de cette pièce qui oscille entre drame et comédie, cette figure maternelle, cette mater dolorosa, interprétée par Isabelle Huppert, retrouve les siens perturbés par l’avenir de la propriété et, plus largement, du monde qu’elle a laissé derrière elle. La société moderne et ses mutations sociales arrive à grands pas. À grand bruit. Quand il pense à La Cerisaie, Tiago Rodrigues a un tempo secret en tête : allegro vivace et est convaincu que la dernière pièce du dramaturge russe traite de l’énergie avec laquelle « l’inexorable puissance du changement » précipite les personnages d’acte en acte. Si avec ses comédiens et son équipe, il a cherché à aborder les inquiétudes, les réactions et contre-réactions qui en découlent, il a aussi voulu voir les espoirs que porte tout nouveau monde, alors que personne ne peut encore réellement les comprendre. Avec les mots de Tchekhov, le metteur en scène a trouvé un incroyable carburant dramaturgique pour nourrir sa machine théâtrale, briser le quatrième mur et rassembler le public autour des grands défis qui attendent « l’aujourd’hui ».

Médecin de formation, Anton Tchekhov (1860-1904) est le plus célèbre poète de la littérature russe. Il croit au progrès, au bonheur. Sa lucidité et le refus de toute illusion, sur l’homme, la société, ou la religion, ont irrigué ses œuvres mais ont aussi agi sur les renouvellements des conceptions théâtrales de son époque.

La Cerisaie de Anton Tchekhov, traduction André Markowicz, Françoise Morvan, est publié aux éditions Actes Sud

Distribution

Avec Isabelle HuppertIsabel AbreuTom AdjibiNadim AhmedSuzanne AubertMarcel BozonnetOcéane CairatyAlex DescasAdama DiopDavid GeselsonGrégoire MonsaingeonAlison Valence
Et Manuela Azevedo, Hélder Gonçalves (musiciens)

Texte Anton Tchekhov
Traduction André Markowicz et Françoise Morvan
Traduction en anglais pour le surtitrage Panthéa
Mise en scène Tiago Rodrigues
Collaboration artistique Magda Bizarro
Scénographie Fernando Ribeiro
Lumière Nuno Meira
Costumes José António Tenente
Maquillage, coiffure Sylvie Cailler, Jocelyne Milazzo
Musique Hélder Goncalves (composition), Tiago Rodrigues (paroles)
Son Pedro Costa
Assistanat à la mise en scène Ilyas Mettioui

Production

Production Festival d’Avignon
Coproduction Odéon-Théâtre de l’Europe, Teatro Nacional D. Maria II , Théâtre National Populaire de Villeurbanne, Comédie de Genève, La Coursive Scène nationale de la Rochelle, Wiener Festwochen, Comédie de Clermont Ferrand, National Taichung Theater (Taïwan), Teatro di Napoli – Teatro Nazionale, Fondazione Campania Dei Festival – Compania Teatro Festival, Théâtre de Liège, Holland Festival
Avec le soutien de la Fondation Calouste Gulbenkian et Spedidam pour la 75e édition du Festival d’Avignon
Construction décors Ateliers du Festival d’Avignon
Confections costumes Atelier du TNP de Villeurbanne
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre Populaire
Residences La FabricA du Festival d’Avignon, Odéon – Théâtre de l’Europe
En partenariat avec France Médias Monde

Tournée en France :
Du 7 janvier au 20 février 2022, l’Odéon, théâtre de l’Europe
Du 3 au 5 juin 2022, Comédie de Clermont-Ferrand
Du 3 au 14 septembre 2022, Théâtre National Populaire de Villeurbanne
Du 23 au 25 septembre 2022, La Coursive de La Rochelle

https://festival-avignon.com/fr/edition-2021/programmation/la-cerisaie-59248#page-contenthttps://www.arte.tv/fr/videos/104621-000-A/avignon-la-cerisaie-ouvre-le-festival/