
Cher Eric,
Ainsi donc, si j’en crois le titre de ton livre, livre placé sous le double parrainage de Balzac et des Choses vues de Victor Hugo, la France n’a pas dit son dernier mot et, n’en déplaise au CSA, tu ne m’as pas non plus dit le tien puisque tu auras tout loisir dans quelques instants de répondre aux réflexions et objections que ton livre m’a inspirées.
Tout commence ici par une anaphore — figure de style qui consiste, on le sait, à reprendre un mot ou une série de mots au début d’une phrase.
« Pas un jour sans sa provocation, sans sa déconstruction, sans sa dérision, sans sa destruction. Pas un jour sans que la police ne soit accusée de violences policières. Pas un jour sans qu’une thèse ne soit publiée dans nos universités sur la théorie du genre dans le Limousin du XVIIe siècle. (…) Pas un jour sans qu’un mineur isolé qui n’est le plus souvent ni mineur ni isolé, ne commette un larcin, une agression sexuelle, un trafic de drogue, voire un crime. (…) Pas un jour sans qu’un porc ne soit balancé à la vindicte générale : peu importe la réalité des faits, la présomption d’innocence, l’important est qu’il soit un mâle blanc hétérosexuel… »
D’aucuns prétendent que l’usage de l’anaphore « Moi Président » fit pencher la balance en faveur de François Hollande lors du débat d’entre deux tours contre Nicolas Sarkozy en 2012 et lui ouvrit les portes de L’Elysée. D’une anaphore à l’autre, se pourrait-il que l’histoire électorale repasse les plats ?
Car c’est bien entendu sous l’éclairage d’une possible ambition présidentielle que se lit aussi ton nouvel essai. Au gré des rencontres, des propos rapportés et des portraits exécutés qui se confondent souvent avec des portraits exécuteurs, tu sèmes derrière toi les petits cailloux à la manière du Petit poucet. Ici, c’est Xavier Bertrand qui te confie : (21) « Après 2022, que je gagne ou pas, il ne restera que deux candidats à droite : Marion et toi. », là, c’est une activiste qui te lance : (232) « Le Trump français, c’est vous. ». Mais enfin, dans le conte cité, faute de cailloux, le Petit Poucet sème ensuite des morceaux de pain derrière lui. Patientons donc encore un peu pour savoir de quelle matière tu es fait — de pierre ou de mie.
La France n’a pas dit son dernier mot ne saurait cependant se réduire à cette dimension cryptée. Si tu reprends le fil chronologique où tu l’avais abandonné dans Le Suicide français, tu prolonges surtout dans ces pages le travail mené dans On n’est pas couché, une émission dont l’originalité consistait non pas à mettre une dose de distraction dans la politique, mais bien plutôt à mettre une dose de politique dans la distraction. Du football au cinéma en passant par le cyclisme, les séries télévisées ou un concert des Rolling Stones, tout est sous ta plume matière à passionnante dissection idéologique. Un autre mérite de l’ouvrage, non des moindres, est qu’il se confond avec une vaste entreprise de dévoilement du dessous des cartes, de l’envers des mots privés parfois en totale contradiction avec l’endroit des mots publics. On reste saisi, incrédule même à l’occasion, devant tant de duplicité — laissons au lecteur le plaisir de découvrir certains beaux spécimens de Tartuffes. Quelques morceaux de bravoure à signaler comme une nécrologie des plus cruelles de de Jacques Chirac où tu cites Marie-France Garaud : « Je croyais que Chirac était du marbre dont on fait les statues ; en réalité, il est de la faïence dont on fait les bidets. » Il arrive d’ailleurs que tu pratiques toi-même l’épigramme : « Longtemps, j’ai pensé que Macron était un Sarkozy en moins vulgaire ; pour la première fois, je comprends qu’il n’est qu’un Hollande en mieux vêtu. »
Sans oublier une conversation téléphonique avec le président de la République, justement, lequel t’assure de son soutien après une agression dont tu fus victime, discute longuement avec toi « racailles, banlieues, immigration, islam », te glisse au passage que c’est son prédécesseur qui a bousillé l’hôpital français et te répète : « Si je reprends votre discours, je brise le pays. » — phrase d’une vertigineuse ambiguïté.
Quant à nos désaccords, je pourrais reprendre la phrase de Régis Debray : « J’ai bien lu votre Suicide français. Je suis d’accord avec tout. Sauf sur les femmes, l’islam et Vichy. » C’est-à-dire que je suis d’accord avec tout ce que tu écris, sauf sur ce que tu considères comme l’essentiel. Et c’est toujours pour moi un sujet d’étonnement que tu puisses passer d’une page à l’autre de l’extrême finesse d’analyse au gros rouge qui tache. Que tu puisses passer d’un modèle de brillante concision : « Les individus devenus tyrans refusaient d’être citoyens et de se soumettre à cet Etat pour lequel les Républicains avaient tant bataillé. L’islam s’est engouffré dans cette brèche au nom de la liberté individuelle » à la demande d’interdiction des prénoms étrangers.
Peut-être faut-il y voir une illustration de ce que, selon ta propre formule, « la passion du débat à la française pousse aux extrêmes ».
Dans une des premières entrées du livre, tu reprends la définition de l’amitié selon Proust : « le désaccord des opinions et la contiguïté des esprits », qui est également selon moi la meilleure définition de ce que fut 10 années durant feue l’émission Zemmour&Naulleau.
Et c’est au nom même de ce désaccord des opinions et de cette contiguïté des esprits que je te pose une première question : si vraiment, comme tu l’affirmes, l’enjeu est aujourd’hui la vie ou la mort de la France telle que nous la connaissons, pourquoi s’égarer, car j’y vois un égarement, dans une réhabilitation du régime de Vichy, pourquoi s’égarer à exiger qu’Hapsatou change son prénom en Corinne ? C’est contestable, c’est même insupportable dans le cas de Vichy et les juifs, c’est hautement contre-productif. Pas plus que Vichy n’a sauvé les juifs français, la réhabilitation partielle de Vichy ne sauvera la France.
La France n’a pas dit son dernier mot, Eric Zemour. Rubempré.
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