« Lazzi ». Texte et mise en scène : Fabrice Melquiot. Avec Vincent Garanger et Philippe Torreton. Musique Emily Loiseau

Voir cette pièce qui traite entre autre de la fermeture de la dernière vidéothèque du monde, ce 13 septembre 2022, jour de l’annonce de la disparition de Jean-Luc Godard est bouleversant. La mort de l’artiste se mêle à l’évocation de la mort d’un des supports de diffusion du 7e art. 

Pour un acteur de sa génération, c’est un choc et Philippe Torreton le dit : « Jean-Luc Godard est mort : vient le moment où tu passes tes journées à dire Adieu ». 

Le cinéma en salle souffre, le public préfère être abonné aux canaux numériques de type Netflix, Amazon Prime vidéo, etc. Cette pièce est un cri de nostalgie et nous laisse un goût d’amertume. Les cassettes VHS ou les DVD avaient le mérite de matérialiser un film, et d’être une façon de concentrer notre mémoire sur le film, comme les photos d’exploitation ou les affiches de cinéma. Ils ne remplaçaient pas le vécu d’un film en salle, mais ils entretenaient le mythe et la magie du cinéma. 

Les vidéo-clubs disparaissent peu à peu, comme certaines salles de cinéma qui deviennent des supermarchés. Tous sans exception : politiques, gens de la culture, financiers, nous avons laissé se développer un appauvrissement culturel global de la population. Le vaste public préfère suivre des films sur des supports numériques, incapable de concentrer son attention plus d’une demi-heure ; dans d’autres cas, il préfère se « faire une terrasse entre potes », afin d’entretenir son degré d’alcoolémie. 

Oui, je parle comme un vieux con que je suis et je le revendique. Pour paraphraser le livre de Raphaëlle Billedoux « Mes nuits sont plus belles que vos jours », adapté en 1989 par Andrzej Żuławski au cinéma, je crois que mon passé de passionné de théâtre et de cinéma est plus beau que leur avenir ! Le cinéma se meurt, le théâtre résiste encore, mais pour combien de temps ? 

Cette pièce est un acte de résistance. Vincent Garanger et Philippe Torreton sont exceptionnels de justesse de jeu dans leurs rôles de perdants, s’accrochant à un nouvel avenir dans une maison à la campagne qu’ils ont achetée récemment en commun. La fermeture de ce commerce, c’est aussi la fin d’un monde. Fabrice Melquiot leur fait dire cela : « Ce sont deux hommes préhistorique au fond d’une grotte oubliée / Deux enfants dans un bac à sable / Ce sont deux hommes qui construisent un barrage contre le Pacifique avec des pelles en plastique / Ce sont deux éboueurs / Deux déchets / Ils sortent à l’instant du dernier commerce. C’était le leur / Le petit commerce où ils exerçaient leur petit métier / Ils sortent de la dernière épicerie / De la dernière blanchisserie / Du dernier magasin de poésie / Ce sont des poinçonneurs, des crieurs, des gardiens de phare, des attrapeurs de rats, des disparus / C’était la dernière danse / C’était la dernière blague / Le dernier jour du travail ». 

Dans un décor de cinéma en destruction, ces deux personnages que ne renierait pas Samuel Beckett, se remémorent leur passé, celui des vieux films : La vie est belle, l’Exorciste, Journal Intime, Les lumières de la ville, etc. et celui du contact avec les clients : « Adieu les cartes de fidélité, adieu les habitués, adieu les fond de sirop dans les bouteilles, et les bouteilles sur le comptoir du bar… ». 

Cette vie sociale qu’ils perdent, la nature à la campagne ne la compense pas ; ils doivent retisser de nouveaux liens au monde, en sont-ils encore capables ? Cette pièce est belle comme une chanson de Vincent Delerm. Le théâtre vient ici au secours du cinéma. 

Continuez de sortir pour aller au cinéma, continuez de sortir pour aller aux concerts où au théâtre, continuez d’acheter des livres dans une librairie, continuez de vivre, ne vous économisez pas, ne cherchez pas à durer…

https://www.bouffesdunord.com/fr/la-saison/lazzi

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