(pour Lola)
Lundi soir, je suis allé me recueillir devant l’immeuble où vivait Lola, une fillette de 12 ans dont le corps retrouvé au fond d’une caisse en plastique portait les stigmates d’un viol, de tortures et d’actes de barbarie. Quand pareil drame survient au cœur d’une ville, on s’étonne toujours que rien n’en paraisse dans l’aspect de ses rues ou sur le visage de ses habitants. Les voyageurs du métro restaient penchés sur leurs portables, éprouvaient la même fatigue, ruminaient les mêmes soucis que la veille, se hâtaient de quitter la rame une fois parvenus à destination. La station Place des fêtes s’écrivait toujours en trois mots quand on aurait voulu qu’elle n’en compte plus que deux — Place défaite, du verbe défaire. Rien n’avait changé, la vie reprenait ses droits, comme on dit. Cette vie qui continuait sans Lola. Si le vent un peu trop chaud pour la saison était venu caresser son visage ce soir-là, en aurait-elle tout simplement apprécié la sensation ou, comme tant de jeunes filles de sa génération, se serait-elle inquiétée du dérèglement qu’il trahissait ? Nul ne le saura jamais. La vie avait repris ses droits, la mort avait pris Lola.
Je suis descendu vers le 119 rue Manin, une adresse baignée de cette atmosphère si singulière et pourtant devenue si familière des lieux de tragédie. Beaucoup de fleurs, des petits mots laissés à la défunte, des larmes retenues au bord des paupières, des conversations à voix basse où à l’émotion qu’un être si jeune ait été dépossédé de sa vie se mêlait l’indignation que certains s’efforcent en outre de la déposséder de sa mort.
Dès le lendemain de cet acte d’une sauvagerie hors normes, il ne fit pas bon s’étonner que la meurtrière ait été encore présente en France plusieurs années après avoir été contrôlée en situation irrégulière et s’être vue signifier une Obligation de Quitter le Territoire Français. Ce double rappel des faits valait d’être immédiatement qualifié de démagogue, de charognard, d’être sur-le-champ accusé de récupération politique. Une accusation de récupération portée par des spécialistes de la récupération, comme de juste, ceux qui n’ont eu de cesse depuis plusieurs années d’exploiter la mort d’Adama Traoré à des fins idéologiques, pour tenter de criminaliser les forces de l’ordre ou faire avancer leur entreprise islamogauchiste. Ne leur en déplaise, ce qu’ils voudraient évacuer sous l’étiquette « fait divers » est en réalité un fait de société qui soulève beaucoup de questions, des questions auxquelles les citoyens sont en droit d’exiger des réponses sans être soupçonnés de faire le jeu d’on ne sait qui ou d’on ne sait quoi.
La parfaite dignité des personnes présentes ce soir-là devant le lieu où la fillette avait subi son calvaire ne les empêchait pas de vouloir connaître la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Cette vérité, les pouvoirs publics la leur doivent. Cette vérité, les pouvoirs publics la doivent à Lola.
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