« En attendant Godot » de Samuel Beckett. Mise en scène par Alain Françon.

Dans son roman « Molloy » paru en 1951, Samuel Beckett parle de lui-même : « Car en moi, il y a toujours eu deux pitres, entre autres, celui qui ne demande qu’à rester là où il se trouve et celui qui s’imagine qu’il serait un peu moins mal plus loin. De sorte que j’étais toujours servi en quelque sorte, quoi que je fisse, dans ce domaine. Et je leur cédais à tour de rôle, à ces tristes compères, pour leur permettre de comprendre leur erreur ». Ce monument de la littérature est sorti du cadre, y compris quand il parle de sa propre personnalité. Pourtant l’esprit cartésien français veut toujours qualifier son théâtre de théâtre de l’absurde ! Le lecteur ou le spectateur doit être libre de donner un sens à ce qu’il lit ou ce qu’il entend, il ne faut pas chercher du sens à toute action, il ne faut pas chercher à mettre l’humain dans des cases. « Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent », voilà une des fameuses phrases de la pièce « En attendant Godot » écrite en français par l’auteur irlandais en 1949.

Montée en 1953 par Roger Blin au théâtre de Babylone, ancien théâtre du boulevard Raspail, cette pièce crée un scandale mais reste néanmoins à l’affiche pendant plus d’un an. Traduite dans le monde entier, elle est la pièce la plus emblématique du théâtre de Samuel Beckett.  

Alain Françon a fait appel à une bande d’acteurs en fusion avec leurs personnages : Éric Berger (Lucky), Guillaume Lévêque (Pozzo), André Marcon (Estragon), Gilles Privat (Vladimir) et Antoine Heuillet (Garçon). Le décor de Jacques Gabel reste fidèle aux indications du début de la pièce « Route à la campagne, avec arbre. Soir .»

De cette mise en scène, Il faut retenir l’humour de l’auteur remarquablement exprimé par cette pléiade d’acteurs : « Charmante soirée et ce n’est pas fini… Comme le temps passe quand on s’amuse ». Samuel Beckett joue ici avec ses propres « longueurs au théâtre ». Michel Bouquet avait dit de lui : « il a atomisé le théâtre ». Son écriture théâtrale a bouleversé les codes et les repères habituels du spectateur, il a créé des silences et une langue autonome autour des banalités du quotidien qui se suffisent à elle-mêmes. 

Alain Françon monte ici une œuvre devenue classique : « On ne se débrouille pas trop mal, hein, Didi, tous les deux ensemble ? (…) On trouve toujours quelque chose, hein, Didi, pour nous donner l’impression d’exister ? ».

D’une manière ou d’une autre, chaque extrait de la pièce nous parle de la fragilité de l’humain. Cette pièce a eu l’honneur de rentrer au répertoire de la Comédie-Française en 1978, dans une mise en scène là encore de Roger Blin.

Dans une lettre à Michel Polac, celui que les intimes prénommaient « Sam », écrit : « Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais même pas, surtout pas, s’il existe. Et je ne sais pas s’ils y croient ou non, les deux qui l’attendent. Les deux autres qui passent vers la fin de chacun des deux actes, ça doit être pour rompre la monotonie. Tout ce que j’ai pu savoir, je l’ai montré. Ce n’est pas beaucoup. Mais ça me suffit, et largement. Je dirais même que je me serais contenté de moins ». 

Pour tout Beckettien, ce début d’année est idéal puisqu’il peut également voir « Fin de Partie » dans une belle mise en scène de Jacques Osinski au théâtre de l’Atelier, pièce que nous avions beaucoup appréciée au dernier festival d’Avignon.

Jean Couturier

Jusqu’au 8 avril 2023 : La scala Paris – 13, boulevard de Strasbourg, 75010 Paris. Téléphone : +33 (0)1 40 03 44 30. www.lascala-paris.fr

Avec Éric Berger (Lucky) , Guillaume Lévêque (Pozzo), André Marcon (Estragon), Gilles Privat (Vladimir) et Antoine Heuillet (Garçon). Dramaturgie – Nicolas Doutey. Assistante à la mise en scène  Franziska Baur. Décor – Jacques Gabel Lumière – Joël Hourbeigt Costumes – Marie La Rocca Chorégraphie – Caroline Marcadé Maquillage, coiffures – Cécile

PHOTOS @Thomas O’Brien.

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