« Kliniken » de Lars Norén. Mise en scène : Julie Duclos.

En 1881, lorsque Emile Zola publie « Le naturalisme au théâtre », il parle ainsi de sa pièce Thérèse Raquin. « J’ai tenté de ramener continuellement la mise en scène aux occupations ordinaires de mes personnages, de façon à ce qu’ils ne “jouent” pas, mais à ce qu’ils “vivent” devant le public ». En 1994, lorsque Lars Norén écrit Kliniken, il nous fait découvrir une tranche de vie des patients d’un hôpital psychiatrique. 

Lui-même a été traité par électrothérapie pour un état schizophrénique, à l’âge de vingt ans.

Quand Julie Duclos décide de monter cette pièce, elle écrit : « Il faut distinguer naturalisme et réalisme. Lars Norén parle certes d’une réalité avec beaucoup de précision, mais ne cherche pas à imiter la vie, au sens naturaliste. Ce n’est pas non plus mon approche »

D’une certaine façon, elle souhaite rendre une peinture plus théâtrale et poétique, pourtant extrêmement proche du réel. D’où l’utilisation de séquences vidéos presque fantomatiques, diffusées en direct sur les hauts murs de fond de scène de cet établissement. Certaines séquences suivent les déambulations des patients dans les coulisses du théâtre ; d’autres enregistrées, nous font découvrir les sous-sols d’un hôpital, des labyrinthes anxiogènes communs à de nombreux établissements hospitaliers, comme une autre ville dans la ville.  

Cette pièce m’apparait quand même très proche de la réalité de ce genre d’établissement des années 80, une sorte de condensé de ce que j’ai vécu pendant trois mois en tant qu’étudiant en médecine à l’Hôpital Saint-Anne. Une particularité, sans doute voulue par l’auteur : l’absence presque complète de toute prise en charge thérapeutique. Aucune présence de médecins, seuls un gardien de nuit et un aide-soignant sont présents par intermittence. Ce dernier tente de faire avaler un comprimé brutalement à Sofia, une jeune anorexique. La scène apparaît cependant assez caricaturale. 

Julie Duclos réussit bien à faire ressentir la temporalité de cet enfermement. Grâce aux variations de lumière de Dominique Bruguière, et à cet arbre de la cour intérieure qui subit les variations météorologiques (pluie, vent, etc.). Notons également la très belle scénographie de Matthieu Sampeur.  

La désorientation temporo-spatiale est le premier mal qui guette ce type de patient hospitalisé au long cours. Leurs vies ne sont rythmées que par les visites des proches, les repas, la télévision et les passages du médecin que l’on ne verra jamais ici ! 

Anders, un des patients, dit : « Quand je sortirai d’ici, je ne regarderai pas la télévision pendant un an ». Cette fameuse sortie, un graal que peu de patients psychiatriques atteignent, même aujourd’hui. L’enfermement reste encore la seule solution pour des patients en décalage par rapport à la vie « normale », quand ils sont dangereux pour eux-même et pour autrui. 

Pour écrire cette pièce, l’auteur a étudié avec minutie ces pathologies. Julie Duclos, quant à elle, a fait un séjour d’immersion à l’hôpital de Valenciennes pour ce projet de mise en scène. Elle dit : « j’ai ressenti une responsabilité immense et belle, parce que ce qui se passe, c’est qu’après, ces gens-là, on les laisse. On prend notre train, on retourne à notre vie, et on les laisse là ». Ici, chaque personnage/patient est bien déterminé par une association de symptômes. La pièce ressemble à un jeu de piste pour un jeune interne en médecine. Nous reconnaissons aisément chaque pathologie grâce au jeu convaincant de chacun des acteurs. Erika a le profil typique d’une psychose maniaco-dépressive, «  bipolaire » étant le terme grand public ; Markus est schizophrène ; Anne-Marie est traversée par de multiples addictions, etc. Le spectateur observe la vie de ces « malades » dans leur quotidien de solitude, où leur seul espace de liberté reste celui de la parole. Cela pourrait durer plusieurs heures, plusieurs mois, plusieurs années, car ici rien ne bouge ou presque, sauf lorsque des accidents graves arrivent… Ainsi, la pièce se termine sur la tentative orale de Markus pour sortir de son cloisonnement intérieur, la scène est forte et crée de l’émotion. 

On pense aux mots de quelqu’un qui a bien connu de tels endroits, Antonin Arthaud, quand il écrit dans Le théâtre et son double « Pour ce cri il faut que je tombe. C’est le cri du guerrier foudroyé qui dans un bruit de glaces ivre froisse en passant les murailles brisées. Je tombe. Je tombe mais je n’ai pas peur. Je rends ma peur dans le bruit de la rage, dans un solennel barrissement ». 


Générique

traduction Camilla BouchetJean-Louis MartinelliArnaud Roig-Mora
scénographie Matthieu Sampeur
collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel
lumière Dominique Bruguière
vidéo Quentin Vigier
son Samuel Chabert
costumes Lucie Ben Bâta Durand
coordination technique Sébastien Mathé
assistant à la mise en scène Antoine Hirel

production L’in-quarto

coproduction Théâtre national de Bretagne, Odéon-Théâtre de l’Europe, Les Gémeaux – scène nationale de Sceaux, Comédie de Reims, ThéâtredelaCité – centre dramatique national Toulouse Occitanie, Le Cratère – scène nationale Alès, Théâtre des Célestins – Lyon, Centre dramatique national Besançon Franche-Comté

avec le soutien du ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles Île-de-France, de l’École d’art dramatique Lille / Tourcoing et de l’École du Théâtre national de Bretagne – centre européen théâtral et chorégraphique

avec la participation artistique du Jeune théâtre national

la compagnie est conventionnée par le ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles Île-de-France

avec le soutien du Cercle de l’Odéon



la pièce est publiée à L’Arche, sous le titre Crises, dans la traduction française de Camilla Bouchet, Jean-Louis Martinelli, Arnaud Roig-Mora

https://www.theatre-odeon.eu/fr/saison-2021-2022/spectacles-21-22/kliniken

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